Les Fleurs du mal
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Frontispice de la première édition des Fleurs du mal annotée par Baudelaire.

Auteur Charles Baudelaire
Pays Drapeau de la France France
Genre Poésie lyrique
Éditeur Auguste Poulet-Malassis
Lieu de parution Alençon
Date de parution
Chronologie

Les Fleurs du mal est un recueil de poèmes de Charles Baudelaire, reprenant la quasi-totalité de sa production en vers de 1840 jusqu'à sa mort, survenue fin août 1867.

Publié le , le recueil scandalise aussitôt la société française. Son auteur subit un procès retentissant. Le jugement le condamne à une forte amende, réduite sur intervention de l'Impératrice ; il entraîne la censure de six pièces jugées immorales.

De 1861 à 1868, l'ouvrage est réédité dans trois versions successives, enrichies de nouveaux poèmes ; les pièces interdites paraissent en Belgique. La réhabilitation n'interviendra que près d'un siècle plus tard, en mai 1949.

Le recueil est considéré comme une œuvre majeure de la poésie moderne. Il diffère d'un recueil classique souvent, le seul hasard réunit des poèmes généralement disparates. Ici, les poèmes s'articulent avec méthode et selon un dessein précis. Les principaux thèmes sont :

  • la souffrance d'ici-bas considérée selon le dogme chrétien du péché originel, qui implique l'expiation ;
  • le dégoût du mal  et souvent de soi-même  ;
  • l'obsession de la mort ;
  • l'aspiration à un monde idéal, accessible par de mystérieuses correspondances.

Nourrie de sensations physiques que la mémoire restitue avec acuité, l'œuvre exprime une nouvelle esthétique l'art poétique juxtapose la palette mouvante des sentiments humains et la vision d'une réalité parfois triviale à la plus ineffable beauté. Elle exercera une influence considérable sur des poètes aux publications ultérieures, tels que Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé ou encore Louis Aragon.

Illustration par Armand Rassenfosse pour Les Fleurs du mal.

Historique

Charles Baudelaire par Émile Deroy - 1844.

Genèse (à partir de 1841)

La genèse du recueil reste mal connue. La plupart des pièces qui composent les Fleurs du mal furent écrites entre 1840 et 1850.

Les plus anciennes pièces remontent vraisemblablement à 1841 (Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive et À une dame créole). Un manuscrit soigneusement copié et relié, attesté par l'ami du poète Charles Asselineau, existe déjà en 1850. Mais il n'a pas survécu et on en ignore le contenu.

Certains poèmes sont publiés dans diverses revues :

  • À une dame créole, le dans L'Artiste ;
  • Le Vin de l’assassin, en 1848 dans L'Écho des Marchands de vin (apparemment sans intention humoristique) ;
  • Lesbos, en 1850 dans une anthologie des Poètes de l'amour.

Le , 18 poèmes paraissent dans la Revue des deux Mondes sous le titre « Fleurs du Mal ». Ce titre avait été suggéré à Baudelaire par un de ses amis, l'écrivain et critique littéraire Hippolyte Babou.

Le , 9 pièces sont publiées dans la Revue française.

Première édition (1857)

La publication des Fleurs du mal a lieu par étapes. Pas moins de quatre éditions, à chaque fois différentes, se succèdent en l'espace de onze ans, de 1857 à 1868 - année suivant la mort de l'auteur.

Le , Baudelaire remet à l'éditeur Auguste Poulet-Malassis, installé à Alençon, un manuscrit contenant 100 poèmes. Ce chiffre lui apparaît comme un nombre d'or, symbole de perfection. Toutefois, il exprime à Poulet-Malassis sa crainte qu'une fois imprimé, le volume ne « ressemble trop à une plaquette ». À sa mère, il confie le 9 juillet avoir renoncé à publier l’intégralité des pièces : « Epouvanté moi-même de l’horreur  que j’allais inspirer, j’en ai retranché un tiers aux épreuves. » Tirée à 1 300 exemplaires, cette première édition est mise en vente le 25 juin. Ses « fleurs maladives » sont dédiées au poète Théophile Gautier, qualifié par Baudelaire, dans sa dédicace, de « parfait magicien des lettres françaises » et « poète impeccable ».

Le , dans Le Figaro, Gustave Bourdin critique vertement « l’immoralité » des Fleurs du mal : « ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur ; encore si c’était pour les guérir, mais elles sont incurables. » Toutefois, le 14 juillet, Le Moniteur universel, journal officiel qui dépend du ministre de la maison de l'Empereur, publie un article élogieux d’Édouard Thierry qui est le premier à les qualifier de « chef-d'œuvre », un chef-d'œuvre placé « sous l'austère caution de Dante ».

Procès et censure (1857)

Le , la direction de la Sûreté publique saisit le parquet pour « outrage à la morale publique » et « offense à la morale religieuse ». Le procureur Ernest Pinard, qui a requis cinq mois plus tôt contre Madame Bovary, se concentre sur le premier chef d'accusation, s'interroge sur l'élément d'intention du second et s'en remet finalement au tribunal. Le second chef d'accusation n'est pas retenu. Le , maître Pinard prononce son réquisitoire devant la 6 Chambre correctionnelle. La plaidoirie est assurée par Gustave Gaspard Chaix d'Est-Ange qui insiste sur le fait que Baudelaire peint le vice mais pour mieux le condamner. Le , le jour même du procès, Baudelaire et ses éditeurs sont condamnés, pour délit d’outrage à la morale publique, à respectivement 300 et 100 francs d’amende et à la suppression de 6 pièces du recueil : Les Bijoux, Le Léthé, À celle qui est trop gaie, Lesbos, Femmes damnées et Les Métamorphoses du Vampire. Ces poèmes condamnés pour « un réalisme grossier et offensant pour la pudeur » et des « passages ou expressions obscènes et immorales » resteront interdits de publication en France jusqu'à ce que la Cour de cassation rende, le , un arrêt annulant la condamnation de 1857.

Très rares sont ses contemporains à soutenir Baudelaire. Théophile Gautier, dédicataire du recueil, garde le silence. Jules Barbey d'Aurevilly manifeste son admiration. Une estime réciproque lie les deux artistes. Le , Victor Hugo écrit à Baudelaire : « Vos Fleurs du Mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles. » Pour le féliciter d’avoir été condamné par la justice de Napoléon III, il lui écrira même, dans sa lettre du , que l’ouvrage apporte « un frisson nouveau » à la littérature.

Le , Baudelaire écrit à l’impératrice pour lui demander d'intervenir afin que soit diminuée l'amende dont avaient été frappées Les Fleurs du mal :

« Je dois dire que j’ai été traité par la Justice avec une courtoisie admirable, et que les termes mêmes du jugement impliquent la reconnaissance de mes hautes et pures intentions. Mais l’amende, grossie des frais inintelligibles pour moi, dépasse les facultés de la pauvreté proverbiale des poètes, et, […] persuadé que le cœur de l’Impératrice est ouvert à la pitié pour toutes les tribulations, les spirituelles comme les matérielles, j’ai conçu le projet, après une indécision et une timidité de dix jours, de solliciter la toute gracieuse bonté de Votre majesté et de la prier d’intervenir pour moi auprès de M. le Ministre de la Justice. »

Sa supplique sera entendue puisque, sur ordre du garde des Sceaux, son amende sera réduite à 50 francs.

Éditions suivantes (1861 - 1866 - 1868)

Couverture d'une édition des Œuvres complètes de Charles Baudelaire (1869).

Le , Baudelaire cède à son éditeur Auguste Poulet-Malassis et au beau-frère de ce dernier, Eugène de Broise, le droit de reproduction exclusif de ses œuvres littéraires parues ou à paraître, ainsi que de ses traductions d’Edgar Allan Poe. L’édition de 1861, tirée à 1 500 exemplaires, supprime les 6 pièces interdites mais en ajoute 32, soit un total de 126 poèmes (plus la préface Au Lecteur, présente dans toutes les éditions mais non numérotée). Une nouvelle section - la deuxième de six - apparaît sous le titre Tableaux parisiens.

Réfugié en Belgique après une condamnation à trois mois de prison pour dettes le , Auguste Poulet-Malassis y publie en février 1866, sous le titre Les Épaves, 23 poèmes de Baudelaire, dont les 6 pièces censurées. Pour cette raison, il sera condamné le par le tribunal correctionnel de Lille.

L’édition posthume de décembre 1868 comprend un total de 151 poèmes. Elle ne reprend pas les poèmes condamnés par la censure déjà publiés en 1866 sous le titre Les Épaves. C'est la mère de Baudelaire, Mme Aupick, d'accord avec Michel Lévy qui avait acheté les œuvres complètes du poète, qui chargea Théodore de Banville et Charles Asselineau d'établir l'édition définitive.

Réhabilitation (1929 - 1946 à 1949)

Une première demande en révision du jugement de 1857, introduite en 1929 par Louis Barthou, alors ministre de la Justice, ne peut aboutir faute de procédure adaptée.

C'est par la loi du qu'est créée une procédure de révision des condamnations pour outrage aux bonnes mœurs commis par la voie du livre, que le Garde des Sceaux peut entamer sur demande de la Société des gens de lettres. Celle-ci décide aussitôt, à l'unanimité moins une voix, de solliciter une révision pour Les Fleurs du mal, accordée le par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

Dans ses attendus, la cour énonce que : « les poèmes faisant l’objet de la prévention ne renferment aucun terme obscène ou même grossier et ne dépassent pas, en leur forme expressive, les libertés permises à l’artiste ; que si certaines peintures ont pu, par leur originalité, alarmer quelques esprits à l’époque de la première publication des Fleurs du Mal et apparaître aux premiers juges comme offensant les bonnes mœurs, une telle appréciation ne s’attachant qu’à l’interprétation réaliste de ces poèmes et négligeant leur sens symbolique, s’est révélée de caractère arbitraire ; qu’elle n’a été ratifiée ni par l’opinion publique, ni par le jugement des lettrés ».

Titre

Dès 1845, un recueil de quelque 26 poèmes est annoncé sous l'intitulé Les Lesbiennes.

À partir de 1848, Baudelaire y substitue le titre Les Limbes. Mais il doit l'abandonner à regret (il en appréciait les résonances théologiques), un recueil du même nom, poésies intimes de Georges Durand, étant déjà paru en .

Ce n'est qu'en 1855 que Baudelaire choisit Fleurs du mal pour intituler 18 poèmes parus, le 1 juin, dans la Revue des deux Mondes. Dès lors, ce titre s'impose définitivement.

À l'âge de 18 ans, Baudelaire avait envoyé à sa mère une lettre contenant un « bouquet de fleurs singulières » : des poèmes.

Dans l'un de ses projets de préface, Baudelaire précise, non sans ingénuité feinte ni malicieuse provocation : « Il m'a paru plaisant, et d'autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d'extraire la beauté du Mal. Ce livre, essentiellement inutile et absolument innocent, n'a pas été fait dans un autre but que de me divertir et d'exercer mon goût passionné de l'obstacle ».

Le titre laisse entendre que les voies du Beau et du Bien ne convergent pas nécessairement (« Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme / Ô Beauté ? » - Hymne à la beauté) et que l'artiste peut revendiquer toute liberté d'investigation créatrice.

Allusion plus ou moins consciente à l'arbre du jardin d'Éden, il révèle l'ancrage de l'inspiration baudelairienne dans l'éthique chrétienne.

Plus largement, le titre relève d'un oxymore fondé sur l'opposition mais aussi le lien étroit entre le Mal et la recherche du Beau idéal à travers le travail poétique. En quatre termes monosyllabiques, cette figure de style illustre la posture simultanée entre le Bien et le Mal. En résumant la condition humaine, elle atteint d'emblée une dimension universelle.

Cette alliance de termes contraires irrigue le recueil d'une sève continue. L'intitulé de certaines pièces en témoignage :

  • La Muse malade ;
  • La Muse vénale ;
  • Le Mort joyeux ;
  • Horreur sympathique ;
  • La Prière d'un Païen.

Spleen I - Pluviôse, irrité contre la ville entière contient l'oxymore « sales parfums », en écho au titre du recueil.

Œuvre

Dans une lettre adressée en 1861 à Alfred de Vigny, Baudelaire précise : « le seul éloge que je sollicite pour ce livre est qu'on reconnaisse qu'il n'est pas un pur album et qu'il a un commencement et une fin ».

Cette construction reflète le désir d'ascèse de Baudelaire, dans une quête d'absolu. Spleen et idéal dresse un constat sans concession du monde réel : c'est une source d'affliction et de blessures (le spleen), qui suscite chez Baudelaire un repli sur soi mais aussi le désir de reconstruire mentalement un univers qui lui semble viable. Les trois sections suivantes constituent autant de tentatives d'atteindre cet idéal. Le poète se noie dans la foule anonyme du Paris populaire et grouillant où il a toujours vécu (Tableaux parisiens), s'aventure dans des paradis artificiels résumés par Le Vin et sollicite des plaisirs charnels qui s'avèrent source d'un enchantement suivi de remords (Fleurs du Mal). Ce triple échec entraîne le rejet d'une existence décidément vaine (Révolte), qui se solde par La Mort.

Un poème liminaire, Au Lecteur, sert de prologue. Il est exclu de la numérotation des poèmes.

  • Spleen et Idéal ;
  • Tableaux parisiens (section initialement absente) ;
  • Le Vin ;
  • Fleurs du Mal ;
  • Révolte ;
  • La Mort.

Le poète divise son recueil en six parties :

Structure

Spleen et Idéal (85 poèmes)

Spleen et Idéal ouvre les Fleurs du mal. Cette première section dresse un bilan : voué de toute éternité à la faute, au mal et à une souffrance rédemptrice (Bénédiction), le monde réel inspire à Baudelaire un dégoût et un ennui qui vont jusqu'à lui faire envier « le sort des plus vils animaux » (De Profundis clamavi) et causent chez lui une tristesse profonde qu'il nomme le « spleen ». Ce mot signifie « rate » en anglais : selon l'ancienne médecine, la mélancolie provenait d'un dysfonctionnement de la rate. Pour Baudelaire, dandy anglophone, ce terme est synonyme de profond désespoir. Quatre poèmes intitulés Spleen illustrent cet état dépressif.

En parallèle, la fuite du temps (« Et le Temps m'engloutit minute par minute » - Le Goût du Néant) et la certitude de la mort (« La tombe attend ; elle est avide » - Chant d'automne) résonnent comme un obsessionnel leitmotiv.

Nées d'une volonté de transcendance (Élévation), les tentatives de dépasser cet accablement s'avèrent presque toujours décevantes. Pour la plupart, elles ne mènent guère qu'à un endormissement passager (Le Léthé). La sérénité ne semble accessible qu'en faisant revivre un passé révolu (Parfum exotique). Seule une synesthésie - fusion totale des sens, où l'odorat (grâce aux odeurs corporelles  notamment celle de la chevelure, au parfum, à l'encens…), la vue (à travers les reflets dans les yeux, les miroirs, l'eau…) et l'ouïe (par la musique, la voix, le miaulement d'un chat, le murmure de l'eau…) jouent un rôle capital  permet d'atteindre l'idéal (Correspondances).

  • Bénédiction ;
  • L'Albatros ;
  • Élévation ;
  • Correspondances ;
  • J'aime le souvenir de ces époques nues ;
  • Les Phares ;
  • La Muse malade ;
  • La Muse vénale ;
  • Le Mauvais Moine ;
  • L'Ennemi ;
  • Le Guignon ;
  • La Vie antérieure ;
  • Bohémiens en voyage ;
  • L'Homme et la Mer ;
  • Don Juan aux enfers ;
  • Châtiment de l'orgueil ;
  • La Beauté ;
  • L'Idéal ;
  • La Géante ;
  • Les Bijoux - pièce condamnée ;
  • Parfum exotique ;
  • Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne ;
  • Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle ;
  • Sed non satiata ;
  • Avec ses vêtements ondoyants et nacrés ;
  • Le Serpent qui danse ;
  • Une charogne ;
  • De Profundis clamavi ;
  • Le Vampire ;
  • Le Léthé - pièce condamnée ;
  • Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive ;
  • Remords posthume ;
  • Le Chat (Viens, mon beau chat, sur mon cour amoureux) ;
  • Le Balcon ;
  • Je te donne ces vers afin que si mon nom ;
  • Tout entière ;
  • Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire ;
  • Le Flambeau vivant ;
  • À Celle qui est trop gaie - pièce condamnée ;
  • Réversibilité ;
  • Confession ;
  • L'Aube spirituelle ;
  • Harmonie du soir ;
  • Le Flacon ;
  • Le Poison ;
  • Ciel brouillé ;
  • Le Chat (Dans ma cervelle se promène) ;
  • Le Beau Navire ;
  • L'Invitation au voyage ;
  • L'Irréparable ;
  • Causerie ;
  • L'Héautontimorouménos ;
  • Franciscæ meæ laudes ;
  • À une dame créole ;
  • Mœsta et errabunda ;
  • Les Chats ;
  • Les Hiboux ;
  • La Cloche fêlée ;
  • Spleen :
  • Brumes et pluies ;
  • L’Irrémédiable ;
  • À une Mendiante rousse ;
  • Le Jeu ;
  • Le Crépuscule du soir ;
  • Le Crépuscule du matin ;
  • La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse ;
  • Je n'ai pas oublié, voisine de la ville ;
  • Le Tonneau de la haine ;
  • Le Revenant ;
  • Le Mort joyeux ;
  • Sépulture ;
  • Tristesses de la lune ;
  • La Musique ;
  • La Pipe ;
  • Le Masque ;
  • Hymne à la beauté ;
  • La Chevelure ;
  • Duellum ;
  • Le Possédé ;
  • Un Fantôme :
    • I - Les ténèbres,
    • II - Le Parfum,
    • III - Le Cadre,
    • IV - Le Portrait ;
  • Semper eadem ;
  • Chant d'automne ;
  • À une Madone ;
  • Chanson d'après-midi ;
  • Sisina ;
  • Sonnet d'automne ;
  • Une Gravure fantastique ;
  • Obsession ;
  • Le Goût du Néant ;
  • Alchimie de la douleur ;
  • Horreur sympathique ;
  • L'Horloge.

Tableaux parisiens (16 poèmes)

Absente de la version d'origine, cette section n'apparaît que dans l'édition de 1861. Elle constitue une tentative de réponse à l'accablement qui surgit « à l'heure où le soleil tombant / Ensanglante le ciel de blessures vermeilles ». Baudelaire se réfugie dans la vie quotidienne de l' « énorme Paris » dont il explore « les plis sinueux des vieilles capitales. […] Traversant […] le fourmillant tableau » (Les Petites Vieilles) en peintre attentif au détail, il brosse dix scènes saisies sur le vif.

La « fourmillante cité […] pleine de rêves » (Les Sept Vieillards) où Baudelaire a toujours vécu, les ambitieux travaux d'Eugène Haussmann en ont détruit la moitié (sa maison natale est rasée quand est percé le boulevard Saint-Germain) et l'ont transformée en un chantier permanent (« Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel) » - Le Cygne). Mais malgré le hurlement de « la rue assourdissante » (À une Passante) et le « fracas roulant des omnibus » (Les Petites Vieilles), Baudelaire y contemple, des « quais froids de la Seine » (Danse macabre) ou « les deux mains au menton, du haut de (sa) mansarde, […] les fleuves de charbon monter au firmament » parmi « les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité », jusqu'aux « grands ciels qui font rêver d'éternité » (Paysage).

Tout le recueil porte l'empreinte parisienne. Certains poèmes d'autres sections évoquent explicitement la Capitale, tels Confession, Le vin des chiffonniers ou Le Crépuscule du matin et sa belle allégorie finale du « sombre Paris » tout juste levé qui, « en se frottant les yeux, / Empoignait ses outils, vieillard laborieux ».

Le Vin (5 poèmes)

Ce court chapitre résulte d'une autre tentative de fuir, à travers des paradis artificiels, « un vieux faubourg, labyrinthe fangeux / Où l'humanité grouille en ferments orageux » (Le Vin des chiffonniers). Il ne comporte que cinq poèmes, tous dédiés au vin, ce « grain précieux jeté par l'éternel Semeur, / Pour que de notre amour naisse la poésie / Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! » (L’Âme du vin). « Le vin roule de l'or, éblouissant Pactole » (Le Vin des chiffonniers)…

  • L’Âme du vin ;
  • Le Vin des chiffonniers ;
  • Le Vin de l’assassin ;
  • Le Vin du solitaire ;
  • Le Vin des amants.

Le vin « informe et mystique » coule dans d'autres sections (Le Poison ; La Fontaine de sang ; La Prière d'un Païen).

Fleurs du Mal (12 poèmes)

Antoine Auguste Thivet, Une Martyre.

Cette partie donne son nom au recueil. Elle est pourtant bien plus brève que Spleen et idéal. Baudelaire tente une nouvelle fois de s'évader « des plaines de l'Ennui, profondes et désertes » (La Destruction). Évoquant la grandeur et la misère humaines incarnées par la Femme (« Faites votre destin, âmes désordonnées, / Et fuyez l'infini que vous portez en vous ! » - Femmes damnées - Delphine et Hippolyte), il cherche à débusquer la beauté jusque dans la laideur physique (Les Métamorphoses du Vampire) ou morale (Les deux bonnes sœurs).

  • La Destruction ;
  • Une Martyre ;
  • Lesbos - pièce condamnée ;
  • Femmes damnées - Delphine et Hippolyte - pièce condamnée ;
  • Femmes damnées (Comme un bétail pensif sur le sable couchées) ;
  • Les Deux Bonnes Sœurs ;
  • La Fontaine de sang ;
  • Allégorie ;
  • La Béatrice ;
  • Les Métamorphoses du Vampire - pièce condamnée ;
  • Un Voyage à Cythère ;
  • L'Amour et le crâne.

Révolte (3 poèmes)

Bien que purement poétique, la révolte contre la Divinité, virulente au point de vouloir lui substituer Satan, fut violemment attaquée lors du procès. Napoléon III avait fait de l'Église catholique romaine un allié politique (l'impératrice Eugénie était une catholique fervente et influente). La justice du Second Empire perçut une attaque de la religion dans ce désir, pris à la lettre, de jeter Dieu à terre et de le remplacer au Ciel, tel qu'exprimé dans Abel et Caïn :

« Race de Caïn, au ciel monte,
Et sur la terre jette Dieu ! »

L'accusation d'offense à la morale religieuse ne fut toutefois finalement pas retenue contre Baudelaire.

Cette brève section - la plus courte du recueil - ne comporte que 3 pièces :

  • Le Reniement de Saint-Pierre ;
  • Abel et Caïn ;
  • Les Litanies de Satan.

La Mort (6 poèmes)

Conclusion somme toute logique, le recueil se clôt par « la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre, […] portique ouvert sur les Cieux inconnus » (La Mort des pauvres).

Selon un procédé analogue à la section précédente Le Vin, un nombre restreint de pièces (ici six) évoquent la façon dont des êtres humains, de condition sociale ou de tempérament différents, appréhendent le passage dans l'au-delà. Un poignant et dernier poème, dédié à Maxime Du Camp, s'intitule Le Voyage. Écrit en 1859 à Honfleur, chez la mère du poète, c'est le plus long du recueil : 36 quatrains se répartissent sur 8 strophes dont - audace absolue - 3 ne sont composées que d'hémistiches successifs. Souvenir transfiguré de l'embarquement pour les Indes de 1841, ses images symbolistes annoncent Le Bateau ivre d'Arthur Rimbaud :

« Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! »

  • La Mort des amants ;
  • La Mort des pauvres ;
  • La Mort des artistes ;
  • La Fin de la journée ;
  • Le Rêve d'un curieux ;
  • Le Voyage.

Ajouts ultérieurs

Les Épaves (16 poèmes supplémentaires)

Cette édition, parue en Belgique en février 1866, comprend 23 poèmes. Elle publie les 6 poèmes condamnés ainsi que Mœsta et errabunda, de la section Spleen et Idéal. Elle comporte 16 pièces nouvelles :

  • Le Coucher du soleil romantique ;
  • Le Jet d'eau ;
  • Les Yeux de Berthe ;
  • Hymne ;
  • Les Promesses d'un Visage ;
  • Le Monstre ou le Paranymphe d'une Nymphe macabre ;
  • Vers pour le Portrait de M. Honoré Daumier ;
  • Lola de Valence ;
  • Sur « Le Tasse en prison » d'Eugène Delacroix ;
  • La Voix ;
  • L'Imprévu ;
  • La Rançon ;
  • À une Malabaraise ;
  • Sur les débuts d'Amina Boschetti ;
  • À propos d'un importun ;
  • Un Cabaret folâtre.

Édition de 1868 (12 poèmes supplémentaires)

L'édition posthume de 1868 ne reprend pas les poèmes censurés. Elle apporte une douzaine de pièces inédites (on peut en exclure 2 autres, d'un intérêt plus que mineur : À Théodore de Banville et Le Calumet de paix).

L'admirable Recueillement Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille ») clôt l'œuvre en la résumant :

  • rejet du monde réel soumis au mal ;
  • endormissement passager de la souffrance ;
  • puissance insoupçonnée de l'imagination et de la réminiscence ;
  • attente interrogative des révélations de l'au-delà.

Ces 12 poèmes s'intitulent :

  • Le Gouffre ;
  • Le Couvercle ;
  • L'Examen de minuit ;
  • L'Avertisseur ;
  • Le Rebelle ;
  • Les Plaintes d'un Icare ;
  • La Prière d'un Païen ;
  • Bien loin d'ici ;
  • Madrigal triste ;
  • La Lune offensée ;
  • Recueillement ;
  • Épigraphe pour un livre condamné.

Le masochisme

Baudelaire manifeste une complaisance masochiste dans la douleur (« Cieux déchirés comme des grèves, / En vous se mire mon orgueil […] / Et vos lueurs sont le reflet / De l'Enfer où mon cœur se plaît » - Horreur sympathique).

Il avoue même son sadomasochisme Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaires, / Qui, recelant un fouet sous leurs longs vêtements, / Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires, / L'écume du plaisir aux larmes des tourments » - Femmes damnées - Comme un bétail pensif sur le sable couchées).

Chez lui, plaisir et souffrance semblent la plupart du temps indissociablement liés (« Plus allait se vidant le fatal sablier, / Plus ma torture était âpre et délicieuse » - Le Rêve d'un curieux).

Dès le début du recueil, la douleur est saluée comme « noblesse unique » (Bénédiction). L'une des dernières pièces affirme : « Que la douleur, ô Père, soit bénie ! » (L'Imprévu). Cette acceptation de la souffrance procède du besoin, foncièrement chrétien, de racheter une faute.

Le spleen

Le dégoût du monde réel, soumis au péché, et la tristesse (le spleen) qu'il inspire (« Loin ! Loin ! Ici la boue est faite de nos pleurs ! » - Mœsta et errabunda) expliquent toute l'œuvre de Baudelaire.

Bon nombre de poèmes sont construits sur le même schéma : un mouvement ascensionnel suivi d'une chute brutale.

L'abattement prend souvent le visage de l'ennui, dénoncé dès le prologue comme le « plus laid, plus méchant, plus immonde » de nos vices.

Baudelaire se débat, impuissant, « au milieu / Des plaines de l'Ennui, profondes et désertes » (La Destruction). « L'ennui, fruit de la morne incuriosité / Prend les proportions de l'immortalité » (Spleen II). Il poursuit les humains sous toutes les latitudes (« Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici » - Le Voyage).

La création baudelairienne constitue une tentative - souvent désespérée - de répondre à cet accablement en édifiant un univers idéal.

Thèmes récurrents

Le sang

Le sang semble obséder Baudelaire. Pas moins de vingt-huit pièces en portent la trace.

Régulièrement, le poète voit le liquide vital s'écouler de son propre corps (L'Héautontimorouménos ; Le Mort joyeux ; La Fontaine de sang ; Le Squelette laboureur ; L'Amour et le crâne).

Il contemple aussi - parfois non sans sadisme - autrui perdre son sang (La Muse malade ; Duellum ; À une Madone ; Une Martyre ; Un Voyage à Cythère ; Le Reniement de Saint-Pierre).

L'image cauchemardesque du lac de sang revient à deux reprises (« Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges » - Les Phares ; « [ma] voix affaiblie / Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie / Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts » - La Cloche fêlée). Du même esprit morbide procèdent « ces bains de sang qui des Romains nous viennent » (Spleen III) et « de grands seaux pleins du sang et des larmes des morts » (Le Tonneau de la haine).

L'effrayant spectre du vampire buveur de sang plane tel un récurrent cauchemar (L'Ennemi ; Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle ; Le Vampire ; Les Métamorphoses du Vampire). Le sadisme s'accompagne de masochisme quand Baudelaire affirme : « Je suis de mon cœur le vampire » (L'Héautontimorouménos).

Le sang, Baudelaire le voit même dans le soleil couchant (« Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige » - Harmonie du soir), « à l'heure où le soleil tombant / Ensanglante le ciel de blessures vermeilles » (Les Petites Vieilles), et jusque dans la lueur d'un foyer qui inonde « de sang cette peau couleur d'ambre » (Les Bijoux) ou d'une lampe allumée à contre-jour, tel un « œil sanglant qui palpite et qui bouge » (Le Crépuscule du matin).

Le sang traduit :

  • le vice (« maint pauvre homme […] soûl de son sang » - Le Jeu) ;
  • la culpabilité (« Je sens fondre sur moi / […] de noirs bataillons de fantômes épars, / Qui veulent me conduire en des routes mouvantes / Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts » - Femmes damnées - Delphine et Hippolyte) ;
  • la douleur (« Rien ne rafraîchira la soif de l'Euménide / Qui, la torche à la main, le brûle jusqu'au sang » - Femmes damnées - Delphine et Hippolyte).

Le sang répandu résume la cruauté humaine (« La fête qu'assaisonne et parfume le sang » - Le Voyage), voire divine (« […] malgré le sang que leur volupté coûte, / Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés ! » - Le Reniement de Saint-Pierre).

De façon novatrice, au sang peuvent s'associer plusieurs sens physiques différents de la vue :

  • l'odorat (« Je croyais respirer le parfum de ton sang » - Le Balcon) ;
  • l'ouïe (« Comme un sanglot coupé par un sang écumeux / Le chant du coq au loin déchirait l'air brumeux » - Le Crépuscule du matin) ;
  • le toucher (« Je t'aime quand ton grand œil verse / Une eau chaude comme le sang » - Madrigal triste).

La fuite du temps

L'inexorable fuite du temps - « injurieux vieillard » (Le Portrait), « joueur avide » (L’Horloge), « ennemi vigilant et funeste » et « rétiaire infâme » (Le Voyage) - obsède Baudelaire. Des poèmes tels L'Ennemi, Chant d'automne, Le Goût du Néant ou L'Examen de minuit martèlent la marche du temps, à laquelle nul n'échappe : « mon gosier de métal parle toutes les langues » (L’Horloge). « Les rides et la peur de vieillir » tourmentent l'humanité (Réversibilité). On retrouve dans ses poèmes le thème de Memento Mori.

Les saisons

Quelque vingt-cinq poèmes développent le thème traditionnel de la ronde des saisons.

Tout à tour « adorable » et « trempé de boue », le printemps verdit quatre fois (À Celle qui est trop gaie ; Brumes et pluies ; Le Goût du Néant ; Paysage).

L'été, « si doux » ou au contraire « blanc et torride », brille à six reprises (La Géante ; Une charogne ; Le Balcon ; Le Vin de l’assassin ; Chant d'automne ; Paysage).

Mais Baudelaire préfère nettement les saisons froides. Période poétique par excellence, l' « arrière-saison » au « rayon jaune et doux » imprime ses teintes automnales à dix poèmes (L'Ennemi ; Parfum exotique ; Causerie ; Brumes et pluies ; La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse ; Chant d'automne ; Sonnet d'automne ; Paysage ; L'Amour du mensonge ; Le Monstre ou le Paranymphe d'une Nymphe macabre).

L' « implacable hiver » inspire encore plus Baudelaire. Brume, froid, pluie, neige et givre s'abattent sur seize pièces (Les Phares ; La Muse vénale ; Le Balcon ; Ciel brouillé ; La Cloche fêlée ; Spleen I et II ; Brumes et pluies ; Chant d'automne ; La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse ; Paysage ; Les Sept Vieillards ; Le Vin de l’assassin ; Les Métamorphoses du Vampire ; La Mort des pauvres ; À une Malabaraise).

Bien qu'il traite d'un lieu commun, Baudelaire parvient à le marquer de son empreinte. En observateur sensible mais avec une grande économie de moyens, il cerne les traits distinctifs de chaque saison :

  • le « printemps adorable » et « son odeur » (Le Goût du Néant) ;
  • l'été des longs « soirs au balcon » (Le Balcon) ;
  • l'automne au beau « ciel clair et rose » (Causerie), « quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres » (La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse) ;
  • « les noirs ennuis des neigeuses soirées » (La Muse vénale) suivis d' « une nuit bleue et froide de décembre » (La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse) puis des « nuits d'hiver, […] près du feu qui palpite et qui fume » (La Cloche fêlée).

Deux allégories retiennent l'attention. Celle de La Muse vénale, « quand Janvier lâchera ses Borées », procède d'une heureuse trouvaille.

Plus remarquable est, dans Spleen I, l'inoubliable silhouette de Pluviôse, qui « de son urne à grands flots verse un froid ténébreux / Aux pâles habitants du voisin cimetière / Et la mortalité sur les faubourgs brumeux ». Baudelaire ressuscite l'éphémère calendrier républicain, alors aboli depuis quarante ans. Mais il dépasse l'agréable surprise de l'anachronisme. Jouant sur le point commun que constitue l'élément liquide, il prend appui sur les mots-pivot urne, flots et verse pour superposer et fusionner la personnification de Pluviôse et le signe astrologique du Verseau. Les images se renvoient l'une à l'autre, en de multiples et savants jeux de miroirs qui expriment la désolation hivernale.

Le soleil couchant

Thème cher aux poètes romantiques, le soleil couchant inspire à Baudelaire sept poèmes empreints d'une vision personnelle. Ce moment décisif au carrefour du jour et de la nuit, quand vient « le soir qui soulage », porte souvent la souffrance à son paroxysme (Le Crépuscule du soir ; Le Coucher du soleil romantique). D'autres fois, la douleur se mêle à l'extase (La Vie antérieure) ou s'apaise (Recueillement). Plus rarement, l'enchantement s'installe (Le Balcon ; Harmonie du soir ; L'Invitation au voyage).

La nuit

La nuit n'est pas en reste : elle suscite neuf poèmes. Près d'une moitié n'échappe pas au spleen (Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive ; Confession ; La Cloche fêlée ; L'Examen de minuit). Deux autres procurent un relatif apaisement (La Lune offensée) ou un endormissement temporaire (La Fin de la journée). Seuls trois conduisent à l'idéal (Tristesses de la lune ; Les ténèbres ; Les Yeux de Berthe).

La lune

Si l'on exclut les pièces où elle n'est citée que pour son absence (L'Irréparable ; Brumes et pluies), la lune éclaire une douzaine de poèmes, dont deux lui sont exclusivement dédiés (Tristesses de la lune ; La Lune offensée).

Elle rayonne presque toujours d'ondes positives exprimant :

  • l'opulence (Confession ; Tristesses de la lune) ;
  • la beauté enchanteresse (Paysage ; Le Jet d'eau) ;
  • la bienfaisance (La Muse vénale) ;
  • la douceur (Chanson d'après-midi) ;
  • la compassion (La Lune offensée) ;
  • la complicité (Tristesses de la lune).

Principe de vie, elle fuit le monde des morts (Spleen II).

Elle résume la femme idéale (Le Possédé ; Les Métamorphoses du Vampire).

Seul un poème lui prête une intention hostile, à travers des « baisers froids comme la lune » (Le Revenant).

Le sommeil

Le sommeil occupe une place centrale. Au moins onze poèmes y font allusion. Mais comme tous les thèmes baudelairiens, il s'avère ambivalent.

Certes, le sommeil procure un bien-être physique (« Les morts, les pauvres morts […] doivent trouver les vivants bien ingrats, / À dormir chaudement, comme ils font, dans leurs draps » - La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse). Mais outre la nécessité physiologique, il répond aussi au désir d'oublier la douleur morale née d'un sentiment d'ennui (« Je veux dormir ! dormir plutôt que vivre ! / Dans un sommeil aussi doux que la mort » - Le Léthé), de désespoir (« Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute » - Le Goût du Néant), de culpabilité (Le Vin des chiffonniers) ou de honte (La Fin de la journée).

Le sommeil provoque des résultats positifs variés :

  • simple endormissement voluptueux (Semper eadem ; La Prière d'un Païen) ;
  • vision clairvoyante du réel (Le Jeu) ;
  • révélation extatique d'un autre monde (L'Invitation au voyage ; Rêve parisien ; La Mort des pauvres).

Mais saisi par la crainte du vide (voir ci-après), Baudelaire avoue : « J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou » (Le Gouffre). Le cauchemar traverse ou peuple même six poèmes (Les Phares ; La Muse malade ; L’Irremédiable ; Danse macabre ; Le Gouffre ; Madrigal triste).

Enfin, un doute plane sur la nature du sommeil ultime qu'est le repos éternel (Remords posthume ; Le Squelette laboureur).

L'abîme

Au moins vingt-huit poèmes développent l'idée du néant ou d'une chute dans le vide.

L'image du gouffre ou de l'abîme revient avec une insistance obsessionnelle. Comme observé précédemment, même le sommeil, censé rendre des forces réparatrices, suscite la crainte de l'anéantissement : « J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou » (Le Gouffre).

Cette vive appréhension a pu naître - ou s'exacerber - lors du naufrage qui écourta le périple de 1841 (voir ci-dessous, La mer). Elle traduit la phobie proprement physique qui minait Baudelaire et semble avoir préludé au mal qui l'emportera (« - Hélas ! tout est abîme, […] / Et mon esprit, toujours du vertige hanté, / Jalouse du néant l'insensibilité » - Le Gouffre).

Le gouffre est cet abîme sans fond où l'on tombe avec une indicible angoisse, sans aucun espoir d'en remonter (De Profundis clamavi ; Je te donne ces vers afin que si mon nom ; L’Irremédiable), « l'escalier de vertige » intérieur (Sur « Le Tasse en prison » d'Eugène Delacroix). Rongé par la douleur de vivre, Baudelaire demande au gouffre de l'engloutir (« Car je cherche le vide, et le noir, et le nu ! » - Obsession ; « Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute ? » - Le Goût du Néant). Toutefois, le vide accompagne aussi une interrogation (« Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis, / Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes […] ? » - Le Balcon) et suscite un mélange de fascination et de répulsion (« Des Cieux Spirituels l'inaccessible azur / […] S'ouvre et s'enfonce avec l'attirance du gouffre » - L'Aube spirituelle).

De façon négative, le gouffre peut exprimer :

  • l'immensité d'une nature hostile (« Le navire glissant sur les gouffres amers » - L'Albatros) ;
  • l'avidité du temps qui passe (« Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide » - L'Horloge) ;
  • l'étendue de l'illusion (« […] au plus noir de l'abîme / Je vois distinctement des mondes singuliers » - La Voix) ;
  • la profondeur de l'ennui (« Et plonge tout entière au gouffre de l'Ennui » - Le Possédé) ;
  • le lancinant désir de fuir la souffrance dans la volupté (Le Poison) ;
  • l'universalité du mal (Le Tonneau de la haine ; Hymne à la beauté ; Duellum; Femmes damnées - Delphine et Hippolyte ; Les Litanies de Satan ; Épigraphe pour un livre condamné) ;
  • le mystère insondable d'un au-delà annonciateur de terreurs (Danse macabre ; Les Plaintes d'un Icare) comme investi d'interrogations (Le Crépuscule du soir ; Le Voyage).

Toutefois, de manière positive, le gouffre traduit l'ivresse charnelle (Le Léthé) libre de remords, « où les baisers sont comme les cascades / Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds » (Lesbos) et, plus largement, l'idéal auquel conduit une correspondance (La Musique) quand « des Ganges, dans le firmament, / Vers[ai]ent le trésor de leurs urnes / Dans des gouffres de diamant (Rêve parisien).

Rappelons enfin que dans la mythologie grecque, c'est le Chaos - terme désignant une « faille béante » - qui engendre les cinq divinités primordiales créatrices de l'univers.

La mort

« Le Temps mange la vie » (L'Ennemi) et conduit inéluctablement à la mort, dont l'heure fatale sonne comme un leitmotiv. Ce memento mori inspire à Baudelaire des pensées noires tournant à l'obsession sépulcrale (« Mon âme est un tombeau » - Le Mauvais Moine). Les termes évoquant la mort reviennent avec une insistance - et même une complaisance - telles que dresser une liste exhaustive des poèmes qui les emploient peut, a priori, paraître aussi fastidieux qu'inutile.

Préoccupation baudelairienne par excellence et cœur de son œuvre, la mort constitue le thème principal d'au moins trente-trois poèmes (Le Mauvais Moine ; Le Guignon ; Don Juan aux enfers ; Une charogne ; Le Vampire ; Remords posthume ; Le Flacon ; La Cloche fêlée ; ''Spleen I à IV ; Brumes et pluies ; La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse ; Le Revenant ; Le Mort joyeux ; Sépulture ; Le Portrait ; Une Gravure fantastique ; Alchimie de la douleur ; Le Squelette laboureur ; Danse macabre ; Le Vin de l’assassin ; Une Martyre ; Les Deux Bonnes Sœurs ; Les Métamorphoses du Vampire ; Un Voyage à Cythère ; La Mort des amants ; La Mort des pauvres ; La Mort des artistes ; Le Rêve d'un curieux ; Le Voyage ; Un Cabaret folâtre).

Une pièce sur cinq résonne d'accents explicitement funèbres. L'avant-dernier vers du grave Recueillement, qui clôt le recueil, compare la nuit qui approche à « un long linceul traînant à l'Orient ». Les Fleurs du Mal s'épanouissent entre les murs d'un « cimetière immense et froid » (Une Gravure fantastique).

Dans son refus de fermer les yeux sur la putréfaction charnelle (Une charogne), et par une hallucinante anticipation, Baudelaire va jusqu'à se considérer lui-même comme un vivant squelette (Le Mort joyeux). Mais il s'interroge aussi sur le mystère de l'au-delà (Le Rêve d'un curieux ; Le Voyage).

La mort apparaît sous maints termes génériques :

  • la Mort (Le Mauvais Moine ; L'Homme et la Mer ; Le Léthé ; Le Flambeau vivant ; Le Flacon ; Le Poison ; Le Jeu ; Le Portrait ; Semper eadem ; Les Petites Vieilles ; Le Squelette laboureur ; Danse macabre ; Une Martyre ; Les Deux Bonnes Sœurs ; Allégorie ; Les Litanies de Satan ; La Mort des pauvres ; La Mort des artistes ; Le Voyage) ;
  • les morts (Don Juan aux enfers ; Remords posthume ; L'Irréparable ; La Cloche fêlée ; Spleen II ; La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse ; Le Tonneau de la haine ; Le Mort joyeux ; Hymne à la beauté ; Chanson d'après-midi ; Les Sept Vieillards) ;
  • mort (L'Irréparable ; Le Mort joyeux ; Le Vin de l’assassin ; La Mort des amants ; Le Rêve d'un curieux ; À propos d'un importun) ;
  • défunt (Le Léthé ; Spleen I ; La Chevelure ; Les Petites Vieilles) ;
  • « êtres disparus » (Obsession) ;
  • mourir (Les Phares ; Les Bijoux ; Réversibilité ; L'Irréparable ; La Cloche fêlée ; Spleen III ; Le Portrait ; L'Horloge ; Les Sept Vieillards ; Le Vin des chiffonniers ; Lesbos ; Le Rêve d'un curieux) ;
  • périr (Le Reniement de Saint-Pierre) ;
  • « finir sa destinée » (Le Crépuscule du soir) ;
  • « entrer dans la Nuit noire » (Allégorie) ;
  • « embarquer pour la Mer des Ténèbres » (Le Voyage) ;
  • mortalité (Spleen I) ;
  • mortel (La Beauté ; Je te donne ces vers afin que si mon nom ; Le Cygne ; Danse macabre) ;
  • funeste - qui concerne ou cause la mort (Le Coucher du soleil romantique) ;
  • fatal - qui annonce ou accompagne la mort (Spleen I ; Le Jeu ; Une Martyre ; Le Rêve d'un curieux).

Du périple au royaume des morts, Baudelaire n'omet aucune étape. Lucide jusqu'à la cruauté, sa vision déploie au grand complet tout l'appareil des pompes funèbres. Elle englobe :

Tourné vers le passé, Baudelaire puise son inspiration dans les mythologies occidentales, grecque :

et romaine :

Il exploite aussi le thème médiéval de la danse macabre (Danse macabre).

L'au-delà s'agite à travers ses inquiétantes créatures :

Enfin, le néant clôt cette longue liste et engloutit tout (Le Jeu ; Le Goût du Néant ; Le Squelette laboureur ; Danse macabre ; Femmes damnées - Delphine et Hippolyte ; Le Gouffre).

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